Le faubourg Saint-Antoine


En dehors des murs de Paris vers l’est, de part et d’autre de la voie antique de Meaux, s’étendait au Moyen Age un terroir faiblement peuplé dans la dépendance de l’abbaye de Saint-Eloi et de la paroisse Saint-Paul. La première mention d’une implantation dans ce terroir est celle d’une résidence royale mérovingienne à Reuilly, plus tard propriété des Templiers puis des Hospitaliers. 


  ^ le faubourg Saint-Antoine en 1600

L’abbaye de Saint-Antoine-des-Champs est fondée par le curé de Neuilly-sur-Marne, Foulques, en 1198 pour accueillir des prostituées repenties. Rattachée en 1204 à l’ordre de Cîteaux et protégée par Saint-Louis, elle devient une abbaye importante, au centre d’un vaste domaine, et génère la création d’un hameau desservi par une chapelle dédiée à Saint-Pierre.
Plus au nord, la folie Regnault, résidence champêtre d’un riche épicier parisien, date de la fin du XIVe siècle. Le manoir du sire de Popincourt, premier président au Parlement de Paris, est mentionné au début du XVe siècle, il entraîne la création d’un hameau de maraîchers. Au milieu du XVIe s. se constitue un vaste domaine, la Roquette (ou Rochette, Raquette) avec une demeure de plaisance, le Bel-Esbat, propriété, entre autres, du comte de Cheverny puis de la duchesse de Mercœur. Enfin, la rue de Charenton voit se construire en 1633 la folie Rambouillet (cf. Châteaux et folies de l’est parisien)


Au sud-est, sur la route menant de Saint-Denis à Saint-Maur, le hameau de Picpus (ou Picpuce, Picquepusse – sans doute une auberge infectée d’insectes) date du XIIe s. 

A la fin XVIe siècle les Pénitents réformés du Tiers Ordre de Saint François installent leur couvent à Picpus. Durant tout le XVIIe s. les fondations religieuses, toutes féminines, vont se multiplier :

1636 : Hospitalières augustines de la Roquette (sur le terrain du Bel-Esbat ci-dessus).

1641 : Filles de la Croix, rue de Charonne.

1642 : Chanoinesses régulières augustines de Notre-Dame-de-la-Victoire, rue de Picpus.

1648 : Bénédictines de Notre-Dame-du-Bon-Secours (rue de Charonne).

1652 : Religieuses de la Madeleine de Traisnel (rue de Charonne).

1652 : Annonciades de Popincourt (rue de Popincourt).

1658 : Franciscaines anglaises (rue de Charenton), fermé en 1790, vendu en 1800.

1669 : Filles de la Charité à l’hôpital des Enfants-Trouvés.

1679 : Filles de Sainte-Marguerite ( rue Saint-Bernard).

1713 : Filles de Sainte-Marthe (rue des Boulets).

1713 : Dames de la Trinité ou Mathurines (rue Erard), couvent fermé en 1790.

Cf. Les fondations religieuses au XVIIe s.

 
    ^ le faubourg Saint-Antoine en 1700
 
^ le faubourg Saint-Antoine en 1790 

















          Plan Delagrive 1740 >
 

Tout au long du XVIIIe siècle se construiront des hôtels de campagne : folie Titon (1690), folie Genlis, hôtels de Gournay, de Mortagne, de Montalembert… Cf. Les folies au XVIIIe s.

Ainsi, à la veille de la Révolution, le faubourg présente, en dehors du noyau artisanal dense du début des rues du faubourg Saint-Antoine, de la Roquette, de Charonne et de Charenton,  le caractère d’un quartier aéré, mélange de terrains maraîchers et de jardins d’agrément de couvents ou de « folies ». Le quartier se densifiant, l’église paroissiale Sainte Marguerite est construite au XVIIe s puis, fin XVIIIe, le marché d’Aligre, sur des terrains de l’abbaye Saint-Antoine au centre d’un lotissement.

La plupart des couvents mentionnés ci-dessus sont fermés à la Révolution. Notre-Dame-du-Bon-Secours (rue de Charonne) est occupé en 1802 par la première filature de coton installée en France par Richard et Lenoir ; elle prospère sous l’Empire avant d’être ruinée par la concurrence anglaise sous la Restauration. Sous Louis-Philippe, les prisons de la Petite et de la Grande Roquette sont construites sur le terrain des Hospitalières de la Roquette.


Les prisons de la Petite et de la Grande Roquette

Construite en 1830 sur les plans de l’architecte Hippolyte Le Bas sur le terrain des Hospitalières, la prison panoptique de la Petite-Roquette offre le premier exemple d’isolement cellulaire en France. C’est une forteresse de forme hexagonale dont la tour centrale permet une surveillance des six galeries qui en rayonnent et où donnent les cellules. Elle est affectée aux jeunes détenus. En 1935, après la fermeture de de la prison de Saint-Lazare, elle devient prison pour femmes. Elle est fermée en 1974.

La prison de la Grande-Roquette située en face de la Petite-Roquette est ouverte en 1837. Sa conception est plus simple : les bâtiments sont disposés autour de 3 cours. Elle est destinée aux condamnés à la réclusion à perpétuité et aux condamnés à mort. Soixante-neuf condamnés à mort sont ainsi exécutés rue de la Roquette jusqu’en 1899 date à laquelle la prison est désaffectée et les prisonniers transférés à la Santé.

 
Les Hospitalières de la Roquette en 1790.


Les prisons de la Roquette en 1860.



Le faubourg industrieux

A l’entrée du faubourg s’est développé depuis le Moyen Age et surtout à partir du XVIIe des activités d’artisanat  favorisées par l’ordonnance de Louis XI en 1471, renouvelée en  1657, qui affranchissait les artisans travaillant sur le domaine de l’abbaye de Saint-Antoine des contraintes corporatives parisiennes et par la proximité de la Seine qui permettait l’arrivée du bois de flottage stocké sur les ports de la Rapée et à l’île Louviers.

Dès la Renaissance, le faubourg est réputé pour son esprit d’innovation dans la fabrication de meubles. Le XVIIe et le XVIIIe voient l’apogée des activités et de la réputation du faubourg, marquée par l’installation d’ébénistes venus des Pays-Bas et d’Allemagne : Oeben, Riesener, Carlin… D’innombrables ateliers de menuisiers, ébénistes, ciseleurs, tapissiers, décorateurs se créent entre la Bastille et la place du Trône développant un mode de construction particulier : immeubles d’habitation sur rue, cours et passages profonds bordés d’ateliers souvent en bois. Ces cours et passages ainsi que les bâtiments les plus caractéristiques du quartier sont maintenant protégés par le PLU (Plan Local d’urbanisme) de Paris cf détail de ces espaces – plan APUR.

Dès le XVIIe s. le faubourg devient un quartier ouvrier dense et remuant. Plus de 200 ateliers sont alors répertoriés et la manufacture de glaces emploie jusqu’à 400 ouvriers, Le saccage de la manufacture de papiers peints de Réveillon, installée sur une partie de la folie Titon, le 27 avril 1789, quelques jours avant l’ouverture des Etats Généraux, fut un prélude à la Révolution. Les ouvriers du faubourg furent de toutes les journées révolutionnaires du XIXe jusqu’à la Commune de 1871.

Sous le Premier Empire, les industries textiles se développent dans le faubourg. Outre la filature de coton de Richard et Lenoir, rue de Charonne, d’autres filatures s’installent dans les bâtiments des Hospitalières de la Roquette et des Annonciades, rue Popincourt.


                  ^ le faubourg Saint-Antoine en 1850
^ le faubourg Saint-Antoine en 1900

L’ouverture du canal Saint-Martin en 1825 va attirer la construction d’entrepôts sur ses rives puis l’implantation d’usines (fonderies, métallurgie, mécanique, chimie) qui seront peu touchées par la couverture du canal par Haussmann. Autour de la rue du faubourg Saint-Antoine, entre les rues de La Roquette et de Charenton, le quartier se densifie et accueille une multitude de petits ateliers dont la dominante reste l’industrie de bois. Quartier d’accueil, le faubourg voit arriver de nombreux immigrants : des provinciaux, mais aussi des Juifs d'Europe centrale et orientale et des Italiens.

Les traditions révolutionnaires du quartier se manifestent lors des Trois-Glorieuses de juillet 1830 et pendant les journées de juin 1848. Sous Louis-Philippe, les prisons de la Petite et de la Grande Roquette sont construites sur le terrain des Hospitalières de la Roquette ainsi que la prison de Mazas, achevée en 1850. Le boulevard Mazas (boulevard Diderot), décidé sous le Premier Empire avec la construction du pont d’Austerlitz, est ouvert en 1851.


Barricade de la rue du faubourg Saint Antoine 1871. BHVP >
 

Dans ce tissu urbain populaire et agité, difficile à maîtriser en cas d'insurrection, Haussmann trace des percées : la place du Château d'Eau (actuelle place de la République), le boulevard du Prince-Eugène (actuel boulevard Voltaire), l'avenue Parmentier, le boulevard Richard-Lenoir qui recouvre le canal Saint-Martin et l'avenue Ledru-Rollin. Néanmoins le cœur du quartier est préservé et le faubourg Saint-Antoine sera l’un des quartiers les plus engagés dans la commune de 1871.

    Longtemps, il a conservé sa structure urbaine constituée petit à petit depuis le XVIIIe siècle de cours et de passages où logements et activités se mélangent ; depuis vingt à trente ans, la valorisation du quartier transforme les ateliers en lofts.





Ces 
cours et passages ainsi que les bâtiments les plus caractéristiques du quartier sont maintenant protégés par le PLU (Plan Local d’urbanisme).



Voir aussi 


Liens externes

Site sur les cours et passages du faubourg Saint-Antoine


Sources

Le Roux (Thomas), Les Paris de l’industrie, Créaphiséditions, 2013.

Gribaudi (Maurizio), Paris ville ouvrière, La Découverte, 2014.